Ces pépites du renseignement et de la défense poussées dans les bras étrangers

4 octobre 2019 Off By Romain
Ces pépites du renseignement et de la défense poussées dans les bras étrangers
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Article écrit Anne Drif paru sur Les Echos le 2 Octobre 2019.


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« Il faut arrêter Hollywood ! », lâche, amer, un entrepreneur français devant le déluge d’images sur l’innovation des armées qui anime la communication du ministère de la Défense depuis quelques semaines. Le « Flyboard Air » de Franky Zapata a failli  battre pavillon américain . D’autres projets moins cathodiques sont poussés à prendre un drapeau étranger, faute de trouver les financements adéquats en France.

La faille est désormais bien identifiée par les investisseurs étrangers, qui ont ciblé ouvertement ces derniers mois les start-up françaises du secteur de la défense et de la sécurité. Le fonds de la CIA, In-Q-Tel, s’est intéressé de près à Linkurious, la start-up qui a aidé dans l’affaire des « Panama Papers » en détectant les interconnexions entre personnes à partir de signaux faibles pour les banques, l’armée ou Bercy.

Investisseurs américains ou qataris

Le fonds d’investissement américain , qui vient de s’installer en Europe, a également approché  Earthcube . Cette solution d’intelligence artificielle qui permet d’identifier en quelques secondes des micro pixels sur des images satellites est utilisée par la Direction du renseignement militaire. La société Elika, qui innove dans la linguistique opérationnelle pour permettre aux forces armées de communiquer dans un langage interallié a elle aussi reçu des propositions de fonds américains et qataris.

Certaines – par exemple Dataiku, qui travaille pour Tracfin -, ont déjà basculé. La start-up d’intelligence artificielle a bouclé un quatrième tour de table de 101 millions de dollars auprès de fonds anglo-saxons de premier ordre, comme Iconiq Capital, proche du CEO de Facebook, Mark Zuckerberg.

Des start-up trop connotées

De fait, les start-up de la défense et du renseignement se lancent grâce aux subventions et aux contrats industriels noués avec la Direction générale de l’armement ou la nouvelle Agence d’innovation de la défense, mais peinent très vite à grandir avec des solutions de financement hexagonales. « Si on veut conserver un ADN tricolore, l’écosystème de financement reste à inventer. Les investisseurs français sont hésitants à l’idée de mettre de l’argent dans notre secteur », témoigne Arnaud Guérin, le cofondateur d’Earthcube.

Chez Numalis, où l’on gère une méthode de calcul capable de corriger les systèmes critiques des missiles, des fusées ou des centrales nucléaires, on cherche aussi de l’agent frais. La start-up, qui mobilise des subventions de BPI et reçoit l’aide d’un fonds régional, a tenté de convaincre des fonds de capital-risque et d’amorçage. En vain.

Désintérêts

« Nous n’y sommes pas arrivés, explique Arnault Ioualalen, le fondateur. Si l’on ne trouve pas d’acteur français, nous nous efforcerons de nous tourner vers des Européens. Mais les fonds classiques réfléchissent à cinq ans, un horizon beaucoup trop court pour la deep-tech. »

Les grands fonds français expliquent leur appréhension. « Nous ne pouvons pas investir dans ce qui touche de près ou de loin au commerce d’armes, explique Jean-Marc Patouillaud, managing partner de Partech. Le nombre limité d’acteurs, de clients, la nature des cycles et des processus de vente sont des facteurs de risques, sans compter le droit de regard des pouvoirs publics sur toute transaction ».

Coup de fil du ministère des armées

Même constat de Benoist Grossmann, le directeur général d’Idinvest. « La cybersécurité et la géosurveillance sont peu matures, et il existe plein d’autres opportunités dans d’autres secteurs. Aux Etats Unis, c’est différent, le marché de la défense est beaucoup plus profond », ajoute-t-il.

Quand les fonds français osent quand même s’intéresser au secteur, « la première chose qu’ils sondent est Bercy au titre du contrôle des investissements… Dans l’heure, ils reçoivent un coup de fil de la DGA ! », témoigne un entrepreneur.

En réalité, ce problème n’est pas nouveau. En témoigne la création de Definvest, le fonds de 50 millions d’euros monté l’an dernier par bpifrance pour le compte du ministère des Armées. Mais ce dernier ne répond que partiellement aux besoins, car il intervient uniquement… aux côtés de fonds privés, et ne prend jamais la main. Par le passé,  d’autres tentatives semi-publiques avaient déjà échoué .

Pré-carré des industriels

La défiance est la même du côté des banques. « Nous avons fait le choix de ne pas lever de fonds étrangers, mais nous ne trouvons pas de financement bancaire, même pour 500.000 euros. Nous tentons donc de fonctionner avec des prêts d’honneur de Total, Airbus et Michelin. C’est forcément limité », déplore Karine Joyeux, la présidente d’Elika.

Pour les start-up, les verrous ne sont pas que financiers. « Ce que nous font comprendre en creux les institutions de la Défense, c’est qu’elles ne veulent pas voir l’émergence de start-up qui viendraient concurrencer les grands groupes installés, s’agace un entrepreneur du secteur. L’armée pousse à ce que nous intégrions nos technologies dans ces grands groupes, mais nous voulons garder notre indépendance. Et ce n’est pas ce qui va pousser à créer des technologies de rupture ! ».

Du coup, certaines start-up préfèrent l’autofinancement, comme Linkurious. « Nous avons fait le choix de ne pas lever de fonds pour garder notre indépendance », explique le président exécutif Sébastien Heymann.

Vers un abandon du secteur défense pour le civil

D’autres jeunes pousses renoncent et se réorientent purement et simplement vers la seule clientèle civile. C’est le « pivot » opéré par Flaminem, pourtant présenté comme le futur concurrent français de la société américaine d’analyse de données Palantir. « Nous restons attentifs au marché régalien, mais ce n’est pas un domaine qui réagit suffisamment vite à notre échelle », explique Antoine Rizk, le CEO de Flaminem. La start-up s’est donc entièrement tournée vers le vaste marché de la lutte contre la fraude et le blanchiment des banques. Moins sulfureux, mais plus « bankable ».

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Article complet paru sur Les Echos disponible ici.

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