Pour une nouvelle éthique alimentaire

19 octobre 2019 Off By Romain
Pour une nouvelle éthique alimentaire
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Article écrit par Fabrice Zerah, PDG d’Ubisolutions dans Les Echos paru le 16 Octobre 2019.


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Nous célébrons aujourd’hui la Journée mondiale de l’alimentation. Raison supplémentaire pour rappeler que, ces dernières années, nous avons assisté à des scandales alimentaires en tout genre : salmonelle  dans du lait infantile, insecticide (le fipronil) dans des oeufs, viande de cheval  dans des plats cuisinés censés ne contenir que… du boeuf, voire « faux steaks hachés » livrés à des associations venant en aide aux plus démunis. « Faux » c’est-à-dire contenant des tissus osseux, cartilagineux, des oléagineux, de l’amidon ou encore des abats.

Ces scandales hypermédiatisés ne sont malheureusement que la face émergée d’une dure réalité : si la plupart des acteurs de l’agroalimentaire font de leur mieux, beaucoup de tricheurs et de manipulateurs nous trompent sur notre alimentation. Et à très grande échelle !ADVERTISING

Il faut produire en masse, vendre le moins cher possible, tout en maximisant les marges

Les fraudeurs s’attaquent à tous les maillons de la chaîne : production agricole, conditions d’élevage, d’abattage, opérations de transformation, de conditionnement, distribution. Nous sommes arrivés à un point où le lien presque sacré entre l’humain et les produits de la terre ou de la mer s’est distendu et transformé en une relation purement marchande dans les étals anonymes des grandes surfaces.

C’est le résultat d’une logique économique implacable : il faut produire en masse, vendre le moins cher possible, tout en maximisant les marges. Une logique qui, en réalité, ne fait que peu de cas des mots tels que transparence, traçabilité, origine géographique des produits, anti-gaspillage, bien-être animal ou simplement droit de regard des citoyens. En règle générale, malgré ce que laisse accroire le discours marketing ambiant, il est presque impossible de retracer avec précision l’itinéraire d’un produit depuis le champ jusqu’à l’assiette, en passant par les rayons des magasins.

Suivre à la trace

Ce flou sciemment entretenu (parce que la législation n’est pas assez contraignante et parce que l’industrie agroalimentaire et la grande distribution entendent bien ne faire que le strict nécessaire) est source de tous les dangers. Par conséquent, c’est une certitude : il y aura d’autres scandales alimentaires. D’ampleur variable. Parfois avec des issues tragiques.

C’est écoeurant et révoltant. D’autant plus révoltant que nous avons collectivement les moyens de mettre un terme à ces dérives. Pourquoi ? Parce que toute la technologie existe. Grâce notamment aux objets connectés, nous pouvons mettre en place les dispositifs suffisants pour une information claire, transparente, fiable sur ce que nous consommons. S’il est possible de suivre en temps réel une sonde spatiale qui se dirige vers Mars, comment croire qu’il est impossible d’identifier l’origine ou de suivre à la trace le circuit d’un produit surgelé, d’un oeuf ou d’une barquette de steak haché ? Il suffirait pour cela que les acteurs de la filière agroalimentaire et de la grande distribution le décident.

Ils auraient d’ailleurs tout à y gagner car ils restaureraient le lien de confiance avec les consommateurs qui, crise alimentaire après crise alimentaire, rappel de produits après rappel de produits, s’est fortement dégradé. Par ailleurs, la sécurité alimentaire n’est en réalité pas un coût. Au contraire : elle représente un réservoir de valeur ! Posons simplement la question aux consommateurs : de ces deux steaks hachés, lequel achèteriez-vous ? Celui dont l’origine et le parcours sont inconnus ou le steak 100% traçable ?

Puce intelligente

Cela n’a rien d’un argument miracle. Nous sommes aujourd’hui parfaitement capables du point de vue technique de réaliser un marquage des produits tout au long de leur traitement en enregistrant leur origine géographique précise, l’ensemble des traitements qu’ils subissent et toutes les étapes de leur parcours logistique. Il est également tout à fait possible de circonscrire les risques de diffusion d’une contamination d’un produit. La technologie permet en effet, au moindre signalement d’un problème sanitaire, de mettre en place une double sécurité.

La première permet d’identifier immédiatement dans les rayons les produits souillés afin d’effectuer leur retrait. Et la seconde, en cas d’oubli ou d’erreur humaine, consiste tout simplement à bloquer le passage en caisse du produit incriminé. Impossible donc pour le consommateur de repartir chez lui avec un produit à risque. Prenons l’exemple de l’affaire Lactalis. Si chaque lot de produits avait été doté d’une puce intelligente, véritable carte d’identité personnelle, il aurait été aisé d’identifier et donc de retirer immédiatement les lots contaminés. Ce ne fut pas le cas…

Gaspillage alimentaire

Les solutions existent. Et pourtant elles ne sont pas mises en oeuvre. D’une manière insensée, irresponsable même, nous tournons le dos au progrès technologique. J’appelle donc tous les acteurs de la filière agroalimentaire, de la grande distribution, soucieux de la qualité et de la sécurité, à se mobiliser. J’appelle aussi les consommateurs, les citoyens à exercer sur eux une pression constructive. Ils ont le vote ultime, celui qui consiste à acheter ou à ne pas acheter un produit. Les technologies peuvent donc garantir traçabilité et sécurité alimentaire. Et elles peuvent nous permettre d’aller encore au-delà, en redéfinissant une nouvelle éthique alimentaire.

D’abord, en matière de gaspillage alimentaire – véritable scandale de nos sociétés développées. En France, chaque année, 10 millions de tonnes, dix milliards de kilos de produits alimentaires – et très souvent l’emballage qui va avec – sont mis à la benne, alors que, une fois de plus, des solutions existent. Grâce à la radio-identification (RFID) et à l’analyse des données, les grandes enseignes de la distribution pourraient mettre en oeuvre une gestion préventive très fine des dates de péremption. Ainsi, chaque gestionnaire d’un rayon détecterait automatiquement les produits dont la date limite de consommation est proche et pourrait les mettre en promotion la veille ou deux jours avant, de telle sorte qu’ils ne rejoignent pas les invendus. Les magasins pourraient également optimiser les circuits logistiques de mise à disposition de denrées aux associations d’aide alimentaire. Les pertes en ligne dues à un dépassement trop marqué des dates limites de consommation seraient en effet évitées.

Nouvelle éthique alimentaire également  en matière de souffrance animale, car sur ce sujet aussi les technologies peuvent apporter des réponses, ne serait-ce que par la présence continue de caméras vidéo de contrôle au sein des abattoirs. Des expérimentations sont menées depuis un an dans le cadre de la loi Egalim. Il faudra aller beaucoup plus loin. Les associations en pointe sur cette question devraient d’ailleurs se mobiliser afin que cette expérimentation temporaire sur la base du volontariat devienne une obligation légale.

Je crois que l’on peut juger une société à la manière dont elle s’alimente. C’est à nous d’agir et de choisir le monde que nous voulons pour nous-mêmes, nos enfants et nos petits-enfants.

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Article complet par dans Les Echos disponible ici .

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