Qui finance le déficit extérieur américain ?
Article rédigé par Nicolas Perrin paru sur La Chronique Agora le 10 septembre 2019.
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Les Etats-Unis ont besoin d’argent… de beaucoup d’argent. Qui le leur fournit ? La réponse est surprenante…
L’Etat fédéral américain a accumulé plus de 22 000 Mds$ de dette, comme nous l’avons vu hier. Le Trésor US estime qu’en 2024, chaque dollar emprunté par le gouvernement servira à financer le paiement des intérêts sur la dette, laissant le pays à la merci de l’évolution des taux d’intérêt. Ensuite, le point de non-retour dans l’œuvre de gonflement de la bulle de la dette fédérale US sera franchi.
Cependant, comme nous allons le voir, des menaces plus imminentes planent sur la situation budgétaire américaine. Pour cela, je vous propose de nous pencher sur les banquiers du « banquier du monde » : les entités qui financent le déficit extérieur américain.
Qui détient la dette fédérale américaine ?
Il convient tout d’abord de rappeler qui détient la dette fédérale américaine.
Voici donc l’évolution des positions des différents détenteurs de dette américaine entre 1990 et juin 2018.
Voici maintenant un graphique qui résume la situation à février 2019 (attention, les catégories ne sont pas les mêmes).
Les Etats-Unis dépendent donc sensiblement du bon vouloir des investisseurs étrangers, puisque ces derniers détenaient 29% des 22 000 Mds$ de dette publique américaine en début d’année, une part qui a énormément augmenté dans le temps.
Les Etats-Unis encore et toujours en proie aux « déficits jumeaux », mais avec une Fed beaucoup moins active qu’auparavant
Rappelons aussi que l’économie américaine est confrontée à deux difficultés chroniques. Les revenus publics étant inférieurs aux charges publiques, les Etats-Unis sont sujet à un déficit budgétaire. Et, avec des flux monétaires entrants inférieurs aux flux sortants, les comptes courants sont dans le rouge.
Par conséquent, même si les investisseurs institutionnels et les particuliers américains accumulent d’énormes quantités de bons du Trésor, l’épargne américaine ne suffit pas à absorber les besoins de financement de l’économie.
A cela s’ajoute le fait que, contrairement à l’ère Obama, la Fed n’est plus là pour acheter des bons du Trésor ad libitum.
C’est bien sûr le statut de monnaie de réserve du dollar qui a permis aux Etats-Unis de financer leurs « déficits jumeaux » (twin deficits) en ayant toujours pu compter sur la demande en provenance des pays étrangers.
La dernière fois que je vous ai proposé un point sur ce sujet, j’indiquais que c’étaient les BLICS (Belgique, Luxembourg, Irlande, Îles Caïmans et Suisse) qui avaient maintenu la demande étrangère en vie depuis juillet 2011. Des Etats européens (et un territoire d’outre-mer du Royaume-Uni), donc.
Qu’en est-il, un an et demi plus tard ?
« L’Europe sauve les Etats-Unis d’une crise grave »
Natixis s’est penchée sur la question dans une note publiée le 23 juillet.
Voici ce que constate la banque :
« Le déficit est aujourd’hui financé par l’Union européenne, qui a remplacé la Chine dans le rôle de créancière des Etats-Unis et d’acheteuse de titres du Trésor américain. La Russie, le Japon, la Chine sont vendeurs de Treasuries, les pays de l’OPEP faiblement acheteurs. »
Si un conflit devait naître entre les Etats-Unis et l’Europe (conflit commercial, accusation de manipulation de l’euro), l’Europe pourrait, comme la Russie, le Japon et la Chine l’ont fait, arrêter d’acheter des dollars. Ceci déclencherait une crise très importante aux Etats-Unis qui devraient comprimer leur demande intérieure pour faire disparaître leur déficit extérieur. »
La banque précise par ailleurs que « l’excédent externe de la Zone euro […] sert […] en grande partie (70%) à financer les Etats-Unis ».
Le « grand désajustement » : lorsque l’Allemagne a remplacé la Chine dans le financement des Etats-Unis
Et si vous vous demandez qui, au sein de l’Europe, aide le plus les Etats-Unis, Natixis vous donne la réponse en mille dans une autre note du 15 juillet.
Le massif excédent d’épargne allemand est essentiellement prêté au Trésor américain. Il s’agit d’une autre malédiction des pays mercantilistes, comme l’explique Natixis :
« Pour l’Allemagne aussi, cet équilibre est peu satisfaisant : le rendement des investissements en titres du Trésor américain est évidemment plus faible que celui des investissements que l’Allemagne pourrait financer en Europe. Mais si on veut que les Etats-Unis continuent à acheter des biens dans le reste du monde et à avoir un déficit extérieur, il faut bien que certains pays se sacrifient pour financer les Etats-Unis : dans le passé c’était la Chine, aujourd’hui c’est l’Allemagne. »
C’est ce que Natixis appelle le « grand désajustement ». L’Empire du Milieu a complètement changé de fonction au sein de l’économie mondiale.
Voici ce qu’écrit la banque à ce sujet :
« Jusqu’en 2013, la relation entre la Chine et les Etats-Unis était mutuellement avantageuse : la Chine finançait les achats de produits chinois par les Etats-Unis. Depuis 2014, la relation est beaucoup plus déséquilibrée : le déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine continue à augmenter, mais la Chine (ni la banque centrale, ni les autres agents économiques en Chine) ne finance plus les Etats-Unis. […] On comprend la tension entre les Etats-Unis et la Chine. »
Notez au passage que si la Chine possède encore un gigantesque stock de bons du Trésor US, la Russie a quasiment bazardé l’intégralité du sien.
Voici la conclusion que tire Natixis sur le financement du déficit extérieur américain :
La situation de la balance courante américaine est donc véritablement alarmante. Pour le moment, Donald Trump ne semble pas avoir compris que l’excédent extérieur de l’Europe (« en réalité essentiellement de l’Allemagne », comme le précise Natixis) vis-à-vis des Etats-Unis est le prix à payer pour financer le déficit extérieur américain, comme c’était le cas auparavant avec la Chine.
Reste bien sûr à voir si nos dirigeants auraient le courage de profiter de cette situation si l’Oncle Sam en venait à menacer l’Union européenne plus avant (ce que la Chine ne s’est pas gênée de (re)faire depuis le mois de juin 2018)…
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Article complet paru sur La Chronique Agora disponible ici .